Doc Gyneco, Première consultation

11 10 2009

doc gyneco

L’arrogance flegmatique, le ricanement désenchanté, la mise à distance du rap : tout Doc Gynéco est contenu dans son premier album. A commencer par ses errements ultérieurs. « Première consultation » est si novateur que la suite de sa carrière paraît superflue. Le disque fait figure d’apparition fugitive de Doc Gynéco dans l’espace musical, le traversant comme un météore et se consumant au contact de l’atmosphère. « Quality Street », la queue de la comète, a définitivement signé le crépuscule de l’idole déchue.

Depuis une décennie, Doc Gynéco s’attache à détruire sa propre légende avec une constance qui forcerait presque l’admiration. Si bien que ses flirts germanopratins et ses amitiés présidentielles ont fait oublier son génie originel. Dans l’imagerie médiatique, Doc Gynéco est devenu ce rebut calciné par le cannabis qui promène gauchement sa carcasse bouffie de plateau en plateau, le plus souvent sous les lazzi d’un public amnésique, en traînant dans son sillage des volutes de fumée clandestine. Au mieux, il est perçu comme une déclinaison vaguement hip-hop de Michel Sardou. Enfermé dans sa propre caricature, Doc Gynéco soliloque en silence. On a  désormais peine à imaginer qu’il y a dix ans, Bruno était le roi du pétrole. La vache à lait de Virgin et du Secteur Ä. Deuxième moitié des années 1990 : c’est l’époque bénie où les albums de rap se vendent  par centaines de milliers d’exemplaires. Du haut de son million de disques écoulés, Doc Gynéco peut se permettre toute sa morgue cool et désabusée. Tout paraît facile. Le succès est d’autant plus foudroyant que Bruno Beausir, 22 ans à peine, débarque de nulle part. Jusque là, il n’a fait entendre son flow chaloupé que le temps d’un couplet incongru sur « 95200 », le deuxième album  du Ministère AMER. Doc Gyneco y laisse déjà percevoir un personnage atypique, désinvolte et railleur. Première consultation lui offre l’espace nécessaire pour exprimer pleinement son indolente insolence. 

Par le truchement de son premier disque, Doc Gynéco a d’abord imposé une attitude. Ses allures de lendemain d’orgie ambulant et sa nonchalance goguenarde tranchent avec les codes en vigueur du rap. En dépit d’un vague parfum de provocation gainsbarienne, Doc Gynéco séduit le grand public grâce à sa dégaine inoffensive d’adolescent dégingandé et lunaire.  Posters aux murs et skateboard au pied du lit sur la pochette, Bruno Gynéco correspond au portrait-robot du jeune moyen. Pas franchement de quoi inquiéter. Quelques mois plus tôt, Passi et Stomy Bugsy, ses collègues du ministère AMER, en appelaient au ‘Sacrifice de poulets’. Lui passe pour le rappeur sympa. A rebours de ses coreligionnaires de la Secte Abdoulaï, Gynéco le dandy déleste son propos de tout discours militant. Bruno Beausir n’est pas un contempteur : c’est un contemplateur. Ses principaux sujets de préoccupation : les filles, le foot, les filles, son quartier, les filles, le sexe et les filles. Et puis aussi, de temps en temps, les filles. Le rappeur croque le quotidien de Bruno en quelques chroniques pittoresques, en évitant soigneusement la street surenchère. Et le résultat coule comme du miel chaud. Doc Gynéco pose un regard moqueur et attendri sur son environnement dont il extrait avec humour la tragique banalité. De ‘Passement de jambes’, exercice de name-dropping footballistique, aux ‘Filles du moove’, évocation tendre d’une génération de starlettes anonymes, le rappeur badine allègrement avec son quotidien.

La suite sur l’Abcdrduson.com





Top 1 du meilleur morceau de rap français

28 07 2009

vélo

Pour son grand jeu de l’été, le site l’Abcdrduson.com se propose d’établir la liste des 100 meilleurs morceaux de l’histoire du rap français. L’internaute est mis à contribution : chacun doit livrer son top 20 personnel. L’exercice est difficile, presque douloureux. Comment choisir entre deux morceaux qui méritent autant leur place ? Sans compter qu’un top 20 tout à fait honnête comprendrait pour moitié des morceaux d’Oxmo Puccino et pour l’autre moitié des morceaux de Lunatic/Booba. Il faudrait donc instaurer une politique de quotas. Mais avec des quotas, on se retrouve avec Rachida Dati pour Ministre de la Justice, alors je m’y refuse. Pour me faciliter la tâche, j’ai donc décidé de me borner à un Top 1, dans la mesure où un morceau se détache nettement du lot. Derrière, le peloton suit à bonne distance.

Numéro 1 : Iam, Demain c’est loin

Depuis les sorties de Revoir un printemps et surtout de Saison 5, il est devenu de bon ton de se moquer d’IAM. Au cours d’un dîner mondain, évitez à tout prix de révéler qu’il vous arrive d’écouter un disque d’IAM : vous passeriez immanquablement pour un beauf. Un esthète écoutera plus volontiers le dernier album de La Rumeur, ou mieux, le dernier Rocé. Il faut dire qu’IAM y met du sien. Les quatre vétérans s’éparpillent depuis quelques années sur des projets médiocres. Et le récent claquement de porte de Freeman ajoute à l’impression de délitement du groupe. Pourtant, les marseillais ont accouché de l’album le mieux produit de l’histoire de l’univers –si l’on considère que l’univers se limite au rap français, bien entendu. L’Ecole du micro d’argent est un disque impeccable, qui en plus a le mérite de résister aux assauts du temps. Une succession sans temps mort de coups de poing. Seul répit accordé à l’auditeur sur la deuxième version du disque, le balourd Independenza donne à l’auditeur groggy l’impression que la déferlante s’achève enfin. Mais non. C’était pour de faux. Tout à coup, une boucle ultra efficace tord les tripes : Demain c’est loin commence. « L’encre coule, le sang se répand. » Dehors, le monde n’existe plus.

S’ouvre un déversement ininterrompu d’images esquissées en quelques mots. Pas de refrain pour les refrés. D’une facture austère, quasi ascétique, le morceau n’est pollué par aucune fioriture. Seule une série de bruitage vient appuyer le propos. En cela, et en cela seulement, Demain c’est loin annonce le sinistre Coupe le cake, devenu le symbole de la décadence du groupe. Akhenaton et Shurik’n, tout à coup capables de marcher sur l’eau, mettent des mots simples sur une réalité brute : « Jolis noms d’arbres pour les bâtiments. » Et par une étrange alchimie, ces mots renferment une poésie inattendue. Prise séparément, chacune des images n’aurait sans doute pas un grand intérêt. Mais toutes ces parcelles d’existences éparses forment ensemble un puzzle, un édifice gigantesque qui surplombe l’ensemble. L’écriture photographique, en refusant tout effet de style superflu, se met entièrement au service du propos. Les deux MCs pressés courent après une réalité qui va plus vite que les mots, à telle enseigne que Shurik’n a besoin de dédoubler certains mots pour reprendre son élan. Et quand il arrive au bout de son effort, il passe le relais à Akhenaton. Sans qu’on s’en aperçoive. Pas de baisse de régime. Beaucoup ont tenté de rééditer l’exploit en reprenant à leur compte les ingrédients de Demain c’est loin. En vain. Même IAM s’y est cassé les dents avec le soporifique La fin de leur monde. Tout le rap tient dans ces 9 minutes d’ataraxie concentrée. « Je ne pense pas à demain parce que demain c’est loin. »

Quand le morceau m’est parvenu aux oreilles pour la première, j’avais les fesses posées sur une selle de vélo. Un copain m’a prêté son walkman Casio autoreverse, un petit bijou de technologie. A l’intérieur, la cassette de L’Ecole du micro d’argent (en réalité, sur la cassette figurait également un enregistrement de la Schtroumpf Party, mais il vaut mieux passer ce détail sous silence, pour l’histoire). Au moment où je posais les écouteurs sur mes oreilles, Shurik’n entamait sont couplet. Je ne comprenais rien à ces borborygmes débités à toute allure. Je ne comprenais rien, mais tout était clair. C’est comme si Dieu lui-même me murmurait au creux de l’oreille un commandement suprême : je devais aimer le rap. Comme quoi, Dieu fait aussi des trucs cools des fois. De fait, j’ai obéi au décret divin.

Nota bene : OK, j’en ai rajouté deux ou trois louches, mais c’est l’esprit.

Pour voter, c’est ici.





La presse rap, « tout le monde s’en fout »

12 05 2009

combat rap

Thomas Blondeau est pigiste itinérant pour la presse musicale. Il est également l’auteur avec Fred Hanak de deux receuils d’entretiens avec des rappeurs, américains d’abord, puis français.

Quel chemin as-tu suivi pour arriver au journalisme?
Institut d’études politiques, puis formation à L’institut français de presse. Je ne sais pas si ça m’a beaucoup servi. Ca m’a servi pour obtenir un stage, qui a permis certaines rencontres, puis le reste. Le milieu de journalisme, après, c’est une histoire gens que tu croises, qui trouvent que tu fais des bons articles … ou pas.
 
Est-ce qu’il est possible aujourd’hui de vivre de piges dans la presse musicale? Toi par exemple, tu arrives à t’en sortir ?
Oui, mais ça a été très dur. Il y a beaucoup de monde, des mecs installés que certains journaux considèrent plus crédibles que toi, ce qui est parfois légitime, et parfois lié à du pur copinage. Ce qui est compréhensible aussi. On ne sait jamais et on ne pourra jamais savoir. C’est très difficile, pour résumer. Disons que quand tu viens de la presse rap, tu n’es pas le bienvenu chez Le Monde. Il faut expliquer, raconter, faire lire des articles, proposer, prouver tes compétences. Parce que même si le mec que tu contactes ne connaît rien au rap, en revanche, il sait ce que c’est que de l’information, il est pointu, tatillon. Il veut que tu sois capable de lui faire comprendre ton sujet et ses implications, parce que quand tu écris dans son journal, tu ne t’adresses pas à tes potes. Je remercie certains d’entre eux, des  journalistes ouverts qui m’ont écouté, et à qui ça ne posait aucun problème que je vienne d’une presse ultra-spécialisée.

Quel exercice préfères-tu pratiquer? La chronique, le portrait, l’interview ? Et lequel rend le mieux compte de la richesse d’un artiste d’après toi ?
L’interview, la rencontre, même pour 10 minutes. C’est un instant de vie, une discussion. Mais là encore, il faut savoir conduire l’interview, c’est vraiment pas évident, c’est nouveau à chaque fois. La chronique, est un exercice que j’aime moyennement. Je suis très mauvais pour les chroniques, je crois.

Récemment, le magazine Unité a fait long feu. En quelques années, les grands titres de la presse rap, L’Affiche ou Radikal, ont disparu. Penses-tu qu’il y a la place aujourd’hui en France pour une presse rap de qualité?
Non. Tout le monde s’en fout. Ou alors il faudrait qu’elle s’y prenne autrement, qu’elle fasse de l’information ou qu’elle ait un point de vue personnel. On se moque un peu de savoir si l’album d’Eminem est bien, puisqu’on peut l’écouter en ligne avant sa sortie. La presse doit nous apporter des infos qu’on ne peut pas avoir en traînant sur le web, elle doit faire un travail de journaliste, poser des questions, enquêter. Ou déblatérer, mais de manière personnelle, écrire.

Est-ce que certains titres trouvent aujourd’hui grâce à tes yeux?
En France, pour parler rap, je dirais Gasface, même si ce n’est pas de la presse hip-hop à proprement dit, plutôt un mag culturel qui arrive à saisir son époque.

Globalement, penses-tu que le rap est suffisamment couvert dans les médias généralistes?
Oui. Le problème c’est que les rappeurs n’intéressent pas tout le monde, alors tu peux pas obliger les gens ou les journalistes à s’y intéresser. Quand la victoire de la musique c’est Abd Al Malik, tu tes dis que, fatalement, Grems ou LIM, ça ne va pas intéresser tout le monde. Et finalement, même si moi j’aime bien ces mecs, c’est pas fait pour le plus grand nombre non plus. Mais c’est pas grave. Il y a des tas de groupes de pop dont personne n’a rien à cirer et qui ont l’impression qu’on les boycotte, mais en fait non, c’est juste que ça nous intéresse pas. C’est exactement pareil.

Récemment, on a vu les journalistes se ruer sur Orelsan. Et tous reprenaient la comparaison avec Eminem, qui n’a pourtant pas grand chose en commun. Penses-tu que les journalistes musicaux manquent de culture rap?
C’est évident.  Mais moi j’ai de belles lacunes en pop-rock, ce qui doit sembler tout aussi inadmissible à certains, et ils ont sans doute raison. La solution que j’ai trouvé, c’est d’éviter d’écrire sur ce que je ne connais pas bien pour éviter de faire de mauvais papiers. Puissent-t-ils faire de même… Cela dit, je trouve la comparaison d’Orel avec Eminem pas si bête que ça.
 
Il y a quelques années, les critiques paraissaient déterminantes pour se faire un premier avis sur un disque avant de l’acheter. Aujourd’hui, avec le téléchargement, chacun peut choper un album et le jeter aussitôt s’il lui déplaît. Crois-tu que le téléchargement illégal condamne aussi la presse musicale?
Je pense que le rôle de la presse musicale n’est pas de faire que des chroniques. Et puis j’ai jamais cru les mecs qui écrivaient les chroniques, j’ai toujours voulu écouter avant d’acheter. Plus largement, la presse doit aller plus loin, enquêter, se démerder, parler aux mecs, avoir du recul, parce qu’elle est payée pour çà, c’est important. Les chroniques, j’ai toujours pensé que c’était le petit plus, mais on s’en fout, c’est pas grand chose. Un journaleux musical doit être capable d’expliquer Busta Rhymes à mon papa, il doit trouver les mots pour ça, et mon père doit comprendre. Pas besoin d’une chronique. Il doit saisir le sujet, le public, et tenter de raccorder les deux pour faire comprendre ce qu’il y a d’intéressant -ou d’inintéressant. Même si tout ça reste forcément subjectif, et tant mieux.





Stand-by

26 04 2009

edenz

Un parcours méandreux, des faux départs et finalement un premier disque en commun. Ed & Enz viennent de sortir Ne cherche pas ailleurs, album cousu main. En dépit d’un vague parfum de naphtaline, c’est bien, c’est net et c’est sans bavures. Et surtout passionné. Plus d’infos sur le site de leur microscopique label Padblem. Sinon, ça faisait quelques mois que je laissais traîner –sans oser l’écouter- le solo de Delta du groupe Expression Direkt, L’Art de la guerre. Il faut dire que la pochette, le titre, et le livret truffé de « lol » et de triples points d’exclamation n’étaient pas très engageants. Et pourtant, ça se laisse écouter, preuve qu’il ne faut pas toujours se fier à la première impression. Pendant ce temps, Kery James est dans la vase : il continue à s’enfoncer avec Réel, encore plus moralisateur et mégalo que le précédent volet. Ce n’est pas la modestie qui étouffe notre Kery James national.

Tout ça pour dire que, faute de temps, le blog ne sera pas mis à jours pendant plusieurs semaines.





Oxmo Puccino, L’Arme de paix

13 04 2009

larme-de-paix

L’Arme de paix fait figure de coming-out variétoche. Oxmo Puccino louchait secrètement sur la variété depuis une décennie. Mais jusqu’ici, comme un grand gaillard gauche étouffé par la timidité, il semblait hésiter avant de franchir le pas. Après L’Amour est mort, aux accents variété, il était revenu dans les clous avec Cactus de Sibérie. Pareil après le jazzy Lipopette bar. Le 23 mars dernier, Oxmo s’est définitivement jeté dans le bain.

L’Arme de paix est un album Potemkine. Séduisant à la première écoute, il sonne désespérément creux pour peu qu’on insiste. Bien sûr, Oxmo Puccino n’a pas perdu en route son talent d’écriture, si bien que certains morceaux sont foutrement bien ficelés. Le problème : Oxmo Puccino n’a plus grand-chose à dire. Et il le confesse volontiers : « Je ne fais plus des chansons qui font état de mon quotidien, parce que mon quotidien a changé et qu’il est peut-être moins intéressant qu’avant. » (1)

Alors, le black mafioso puise son inspiration ailleurs. En cherchant l’universel, il dérape souvent vers la banalité. Les grandes considérations sur la vie et ses tracas succèdent aux truismes éculés. A force de tourner à vide, l’écriture d’Oxmo au lyrisme mièvre paraît vaine. Résultat : L’Arme de paix manque de muscle. La musique dépouillée des Jazzbastards et les finitions de Renaud Létang remplissent leur contrat. Sans plus. Oxmo lui-même a perdu le coffre qui faisait le charme de sa voix caverneuse.

Le cinquième album d’Oxmo est une nouvelle manifestation du complexe d’infériorité dont souffre le rap français. Nos MCs nationaux donnent souvent l’impression d’avoir intégré l’idée que le rap est une sous-musique. A commencer par Oxmo Puccino, en dépit de ses dénégations –« le rap, une sous-culture, mais quelle idée ! Ce sont des propos de fils de canidé ». A telle enseigne qu’ils ont souvent tendance à lorgner la respectabilité du côté de la variété. Kery James, cherchant l’adoubement de Charles Aznavour, illustre jusqu’à la caricature ce besoin pathétique de reconnaissance. A vouloir faire du rap une musique de notable, on perd de vue son essence infâme. Chez Oxmo Puccino, l’hommage rendu à Jacques Brel vire au sacrilège tant le morceau est raté.

On n’attend pas du black desperado un deuxième Opéra Puccino –d’ailleurs son chef d’œuvre est peut-être son deuxième opus, L’Amour est mort. On aimerait simplement qu’Oxmo exploite à fond le talent qu’il ne laisse entrevoir que par intermittence.

(1) Interview pour le site Rap2france





« IAM, c’est de l’antiquité »

11 04 2009

iam

IAM est toujours à contretemps. Le groupe affichait son unité –de façade- quand les autres représentants de la scène old school se séparaient. Et au moment où les autres vétérans se rabibochent, de NTM à la Cliqua, IAM éclate.

Le bruit courait depuis plusieurs mois. C’est désormais officiel : Freeman quitte le groupe avec perte et fracas : « le groupe IAM a été, selon moi, un gâchis monumental. On pouvait faire des choses extraordinaires, aller encore plus loin. Dommage que certain du groupe ou de son entourage, ne pensaient qu’au profit et à l’argent. Pour cette raison, je n’ai plus rien a voir avec IAM. » La charge est violente. Et affligeante. Freeman, danseur reconverti au MCing faute de débouchés dans sa discipline d’origine, n’a jamais vraiment convaincu au sein d’IAM. Ses prestations ont largement contribué à plomber Revoir un printemps. Sa diction incompréhensible et son flow rustre ne lui ont jamais permis de se mettre au niveau de ses deux partenaires, à l’exception peut-être de Un bon son brut pour les truands sur L’Ecole du micro d’argent.

Le départ de Freeman est finalement une bonne nouvelle pour tout le monde. L’ex-danseur n’est jamais parvenu à s’exprimer qu’en solo. Ses piètres performances avec IAM ne doivent pas faire oublier qu’il a sorti en 1998 un solo très réussi, L’Palais de justice, en collaboration avec K-Rhyme le Roi.

Les contradictions de Freeman donnent à son départ les allures d’une crise de jalousie. « Akhenaton a, depuis le début, été dans une démarche individualiste », prétend-il, avant d’afficher ses ambitions futures : « maintenant je veux penser à moi, et à moi seul […] J’en ai marre d’être toujours affilié a quelque chose, et j’ai souvent souffert d’un déficit énorme concernant l’image. » Quoi qu’il en soit, le split d’IAM révèle ce qu’on pressentait depuis un bon moment : le groupe n’est pas le havre de bonne humeur qu’il prétend être. L’ambiance au sein du groupe est un peu à l’image de Plus belle la vie, le soap de France 3 : jovialité toute marseillaise à l’extérieur, coups fourrés et rancœurs à l’intérieur.

On attend désormais la réaction du groupe. Les 5 rescapés devraient être le 7 mai prochain sur la scène du Festival « au fond du jardin du Michel ».

Lire l’interview complète sur le blog du magazine Orbeat.





Là-bas il fait chaud

29 03 2009

casey-gyneco

Le conflit social en Guadeloupe mené à l’initiative du LKP, qui a débordé sur la Martinique et sur la Réunion, a considérablement modifié l’image des Antilles en métropole. Vue uniquement comme une destination de vacances, les îles françaises sont subitement apparues sous une lumière crue. Né ici de Doc Gyneco et de Chez moi de Casey dévoilent tous les paradoxes des anciennes colonies françaises.

Les deux morceaux de Doc Gyneco et de Casey, à dix ans d’intervalle, explorent le même thème sur un mode identique. Les deux MCs font découvrir leur île d’origine, respectivement la Guadeloupe et la Martinique, en jouant les guides touristiques et en soumettant leur auditeur à une série de questions.

La similitude formelle et thématique des deux titres, dont on ne sait si elle est volontaire ou non, fait ressortir une opposition sur le fond qui pourrait donner l’impression que l’un des deux MCs livre une version mensongère. De fait, Gyneco propose une vision très idéalisée des Antilles tandis que Casey en montre le versant sinistre.

Les deux morceaux semblent d’ailleurs se répondre presque point par point :

Doc Gyneco : Sous les cocotiers les filles sont dorées, les maillots mouillés et les bondas bombés
Casey : Les cocotiers ne cachent rien de la misère

Doc Gyneco : Je veux prendre des bains de mer avec le Ministère
Casey : Mes cousins se foutent des bains de mer

Doc Gyneco : Francky Vincent est le Saint Patron
Casey : Sais-tu qu’on n’écoute pas David Martial, la compagnie créole et « c’est bon pour le moral » ; et que les belles doudous ne sont pas à la cuisine, à se trémousser sur un tube de Zouk’ Machine ?

En fait, par-delà les antagonismes apparents, les deux morceaux révèlent une réalité unique mais complexe, faite de nuances. La différence des points de vue souligne davantage le contraste des personnalités : le texte de Gyneco correspond autant à son attitude indolente et rieuse que celui de Casey s’inscrit dans la noirceur qu’on lui connaît. Par ailleurs, alors que le MC du XVIIIème se sert de sa description d’une Guadeloupe volontairement magnifiée pour l’opposer au décor métropolitain, la Rouennaise semble englober dans sa vision désespérée d’un monde lugubre la France et ses anciennes colonies.

Les Antilles ressemblent autant à la carte postale de Gyneco qu’à la représentation de Casey qui sont comme les deux faces d’un même dé, ou l’envers et l’endroit du décor.

Quoiqu’il en soit, les deux titres font incontestablement partie de la playlist idéale du rap français.





Luxure, calme et volupté

27 03 2009

booba 09

La route est longue de Boulogne à Rome. En revanche, celle qui mène du Capitole à la roche Tarpéienne est nettement plus courte. Ventes décevantes, critique perplexe, commentaires assassins sur internet : après le succès de Ouest Side, Booba semble avoir perdu de sa superbe. Et pourtant, on peut se poser la question : et si 0.9 était un bon album ?

Le suspense n’est pas long. Booba remporte l’adhésion dès la deuxième minute grâce à une phase lâchée sur un chœur funèbre : « une à une mes cases s’allument comme dans Billy Jean. » Le reste est à l’avenant, le MC promenant le même panache désenchanté sur les 14 pistes suivantes. Booba est en roue libre. Le manque d’effort apparent donne une impression de facilité déconcertante.

Chez l’autoproclamé duc de Boulogne, la nonchalance prend la forme d’un nihilisme goguenard qui embrasse sans distinction la religion (« je me lave le pénis à l’eau bénite »), les pauvres (« j’effleure le ciel, tu touches le RMI ») ou l’écologie (« j’roule en 4×4, rien à foutre de la pollution »). Néron noir, archétype du MC décadent, Booba se vautre sans honte dans la luxure. Pastichant César : « je suis venu tranquille, j’ai vu, j’ai vaincu. » La dépravation atteint un paroxysme sur le lubrique Pourvu qu’elles m’aiment, sorte de Baby nouvelle manière. Du reste, la comparaison des deux morceaux fait ressortir l’évolution de Booba depuis Panthéon. Tandis qu’il se contentait de séduire la première venue avec un filet-o-fish sur la banquette arrière d’une voiture, les critères de choix ont été revus nettement à la hausse et Booba vise désormais la catégorie CSP++.

Le MC au flow concassé n’abandonne la rouerie que sur l’ultime morceau pour lester son discours d’un ton inhabituellement militant: « je suis mort deux fois : une fois à Memphis, une fois à Harlem. » Comme toujours avec Booba, le message est ambigu. Et comme souvent avec Booba, ça fonctionne.

On a tout dit au sujet du météore. Qu’il était un sous 50 cent et qu’il était un deuxième Céline. De deux choses l’une : soit Booba est un immense génie, soit c’est un benêt surcoté. Soit rien de tout ça. En réalité, Booba fait du Booba. Pour ne pas déroger à la règle, le MC emprunte sur 0.9 le sillon creusé depuis Panthéon. Les mêmes thèmes y sont abordés dans le même désordre : glorification de l’argent, des demoiselles en petite tenue, et surtout de lui-même. A tel point que certains morceaux font doublon.

Ce manque de renouvellement explique probablement la déception d’une partie des auditeurs. Booba n’a visiblement pas eu l’ambition de révolutionner la musique. Au contraire, l’inspiration américaine est de plus en plus évidente, notamment sur Illégal, qui recycle le vocoder de Lil Wayne.

Annoncé comme un blockbuster, 0.9 a fait flop. Ou pschitt, c’est selon. Et pourtant, sa dernière production confirme la sidérante fécondité de Booba qui n’a jamais paru si libre qu’ici, capable d’articuler la crâne indolence à la noirceur refoulée.





Sept & Lartizan, Le Jeu du pendu

22 03 2009

sept-et-lartizan1

C’est mathématique : des textes impeccables + un flow ultra technique + des productions soignées + une pochette classieuse = un excellent disque.

Jusqu’à Goscinny, le métier ingrat de scénariste n’était pas reconnu. Le dessinateur gardait pour lui toute la gloire et affichait son nom en grosse lettres sur la couverture de ses bandes dessinées. De son côté, le scénariste, prolétaire du 9ème art, devait se contenter d’une mention discrète. Les producteurs, à l’exception de rares têtes d’affiche, subissent aujourd’hui un sort comparable. Leur nom n’apparaît le plus souvent qu’en petits caractères dans des livrets que plus personne ne lit depuis que Napster a changé la face de l’industrie musicale.

Lartizan est un peu le Goscinny du rap. Producteur multicasquette (il dirige également le label Lzo), il a décidé d’inscrire son nom à égalité avec celui de Sept sur la pochette du Jeu du pendu. C’est que les deux lurons forment un binôme efficace et insécable. La musique conçue par l’un sert idéalement les textes de l’autre. Et inversement. Le tout débouchant sur l’un des rares très bons disques de rap français de l’année 2008. Pour les besoins de son premier album Amnésie, sorti en 2003, Sept avait convoqué une large palette de producteurs. Le tandem Sept-Lartizan permet cette fois de conserver une grande cohérence musicale par-delà l’éclectisme des instrus retenues.

Le MC préférant exercer son art en dilettante, il aura fallu attendre 5 ans pour retrouver la volubilité et la voix sépulcrale de Sept. « Pour le premier album, j’ai tout lâché, comme une éjaculation. Alors que pour ce coup là, c’était par petits jets », confie-t-il (1). On retrouve le même plaisir communicatif à jongler avec les mots en multipliant les allitérations et les assonances. Ca pourrait donner un exercice de style prétentieux et patapouf. Mais non, ça tient la route. Car Sept injecte suffisamment de sens dans ses textes pour soutenir la charpente. L’oxymore qui tient lieu de titre, Le Jeu du pendu, rend d’ailleurs compte du hiatus entre le badinage apparent et la gravité sous-jacente.

Si la magie opère, c’est aussi en partie grâce à la passion qui se dégage du disque et suinte à chaque rime. La maison Lzo a en effet réussi à réunir une belle coterie d’artistes passionnés, à commencer par Dreyf dont le street-album/mix-tape/album est disponible depuis hier. En attendant la sortie du Je vous aime de Taïpan. Pour le prochain rendez-vous avec Sept, l’attente devrait être plus longue.

(1) Interview à Bounce2dis.com





Réveille le punk

15 03 2009

langle-mort

Par une étrange alchimie, le mariage du groupe de rock Zone libre et des rappeurs Casey et Hamé accouche d’un album punk.

Demandez à un bûcheron bien charpenté de vous asséner un coup de poing dans l’estomac. Le souffle coupé, les entrailles remuées, les yeux désorbités, vous aurez alors une idée assez précise de l’effet que provoque L’Angle mort. L’album commun de Casey, Hamé et du groupe Zone libre percute simultanément tous les sens avec une violence inouïe.

L’impact est d’autant plus puissant que les oreilles des amateurs de rap français sont peu habituées au mariage du rock et du rap. Tandis qu’aux Etats-Unis les collaborations entre groupes de rock et de rap paraissent naturelles depuis le fameux Walk this way de Run-DMC et Aerosmith en 1986, le rap s’est construit en France contre le rock. Pourtant, les deux musiques puisent à la même source, celle du blues, et colportent une colère identique. Bizarrerie française, qui tient à la fois de l’ignorance et de la schizophrénie.

Zone libre, Casey et Hamé s’aventurent donc sur un terrain inexploré, un angle mort à proprement parler. Leur association paraît tomber sous le sens, tous baignant dans le même jus âcre. « On partage dans notre musique et nos propos une espèce de rage. La rage est un bon moteur » confirme Serge Teyssot-Gay (1). De fait, l’alchimie opère dès les premières mesures des Mains noires.
Les cordes incandescentes et les riffs crépusculaires du duo Serge Teyssot-Gay – Marc Sens entrent en résonnance avec les textes sinistres de Casey et de Hamé. La musique, moins expérimentale que sur le précédent album de Zone Libre, Faites vibrer la chair, fait corps avec le flow des deux MCs. La plupart des titres fonctionnent comme un dialogue entre les voix et les guitares: aux cris de colère de Hamé et de Casey succède un déferlement noisy rock. Le martèlement de la batterie de Cyril Bilbeaud sonne comme un écho au fracas provoqué par la collision des voix et des guitares.

Galvanisée par les instrus fulminantes, Casey est à l’évidence plus à l’aise dans un exercice qui lui permet de déchaîner toute son énergie punk. A tel point qu’on en vient à se demander si Casey est encore une rappeuse. De fait, ses trois échappées solitaires, Purger ma peine, Une tête à la traîne, et La chanson du mort-vivant sont les meilleurs morceaux de l’album. Plus hésitant –voire scolaire, Hamé n’a pas pris la peine de modeler son flow horizontal sur la musique. Dommage. Cependant, le franc-tireur a encore aiguisé son écriture depuis Du Cœur à l’outrage et lâche avec Le mur et son couplet sur Les mains noires deux de ses plus beaux textes. En fait, le seul bémol de l’album vient de ses finitions parfois un peu bâclées – au moins ajoutent-elles à son charme glauque.

L’Angle mort est une telle réussite qu’on aimerait qu’elle fasse des émules. A quand un duo Sefyu – Jean-Louis Aubert ? Et Booba – Dick Rivers ?

(1) Interview aux Inrocks





Oxmo Puccino, 365 jours

8 03 2009

En attendant la sortie de son prochain album, prévue pour la fin du mois, Oxmo Puccino nous gratifie d’un très beau clip, sobre et classieux. Une nouvelle fois, le MC a confié la réalisation à Eliza Levy, à qui l’on doit déjà le clip des Jeunes du Hall. Et il a bien fait.
Dans son escapade solitaire à bord d’une décapotable intemporelle, Oxmo Puccino traverse toutes les saisons. Parti du printemps pour arriver à l’hiver, sans s’en rendre compte, il traverse en même temps tous les âges de la vie, offrant une bele illustration au morceau: « Né le matin, majeur a midi, vieux dès 20h. » Et le charme suranné du clip donne un nouveau relief à la chanson déjà très réussie.
Mais 365 jours ne suffit pas à lever toutes les inquiétudes que suscite la sortie prochaine de l’album: après le relatif raté du pourtant prometteur Lipopette Bar, on est en droit d’être méfiant.





Olivier Bernet, Persepolis

8 03 2009

persepolis

D’abord bande dessinée, puis film d’animation, Persepolis a aussi un versant musical. La bande originale du film, signée Olivier Bernet, révèle une nouvelle fois la richesse de la « galaxie persepolis » dont elle restitue toutes les nuances.

De la bande dessinée réalisée par Marjane Satrapi au film qui a échappé d’un souffle à la palme d’or à Cannes, Persepolis est devenu une œuvre multiforme dont les métamorphoses successives disent la fécondité. On connaît bien l’histoire initiale, autobiographie en noir et blanc d’une enfant qui passe à l’âge adulte entre la révolution iranienne, le quotidien d’un pays en guerre contre l’Irak, et les turbulences citadines de l’Europe.
Toute la force de la bande originale de Persepolis est qu’elle parvient à donner corps à l’histoire. Les mélodies ont un tel pouvoir d’évocation qu’elles font apparaître les images du long métrage aux yeux de l’auditeur. La musique, tour à tour grave et légère, énergique et suave, funeste et riante restitue toutes les nuances du film. Servies par une pluie de cordes, les mélodies oscillent en permanence entre la candeur de l’enfance et la tragédie du décor. Cette tension continue, qui constitue le charme de la bande dessinée et du film, se retrouve dans la musique. Et curieusement, par un mécanisme inconscient, les accords s’impriment sur l’esprit en noir et blanc, à l’image de la bande dessinée.
Les compositions échappent par ailleurs au piège du poncif : le grain oriental reste discret et évite de verser dans la ratatouille world. La reprise classieuse de The eye of the Tiger, emprunté à la bande originale du film Rocky, constitue le clou du disque. Le tout rend justice à l’œuvre originale et donne finalement l’envie de se replonger dans les quatre tomes de la bande dessinée et dans le film pour y retrouver la chaleur de la musique.





Secret Défense

18 12 2008

secret défense

Philippe Haïm signe une transposition ratée des films d’espionnage hollywoodiens

Secret défense, variation française sur le thème de la lutte anti-terroriste, tombe à pic, au moment où la psychose collective renaît. Cependant, dès l’affiche plusieurs indices invitent à la circonspection. D’abord c’est Philippe Haïm, auteur de l’infâme adaptation des Dalton il y a quatre ans, qui est derrière la caméra. Ensuite le titre, d’une originalité folle –déjà utilisé par Jacques Rivette.
Et l’intrigue n’est pas faite pour nous rassurer. Philippe Haïm croise le destin de deux petites mains du combat que se mènent les terroristes et les services secrets. Du côté des gentils, Vahina Giocante joue Delphine, une étudiante en langues O, prostituée à ses heures perdues, recrutée à son insu par la DGSE pour séduire Abou Ghaddad, sorte de Ben Laden bling-bling. Du côté des méchants, Nicolas Duvauchelle incarne Pierre, petit dealer lillois, reconverti en bombe humaine après un bref séjour en prison et un détour par l’Afghanistan. Mouais.
De fait, Secret défense saute à pieds joints dans tous les pièges du film d’espionnage : manque total de vraisemblance, propos simpliste et roulements de mécaniques.
Scène liminaire du film : gros plan sur le visage strié de Gérard Lanvin qui débite un discours si peu crédible qu’il confine au grotesque : « l’agent [secret] n’est pas un être humain, c’est une arme ». On se demande aussitôt dans quoi on a mis les pieds. Dès lors, le spectateur incrédule assiste à une intrigue qui multiplie les lieux communs et les clichés.
Loupé
Pourtant, la promo du film a longuement insisté sur le recours à une armada de consultants garantissant l’authenticité du film. Et pourtant, impossible de se sentir réellement concerné. Les apparitions incongrues d’Antoine Sfeir ou de Malek Chebel, censée apporter une caution scientifique au film, sortent le spectateur de l’intrigue.
Les acteurs sont alors le dernier espoir pour donner au film le crédit qu’il manque au scénario. Loupé, l’interprétation est un naufrage : Gérard Lanvin, dans le rôle du grand manitou des services secrets français, cabotine tandis que Vahina Giocante et Pierre Duvauchelle n’ont visiblement pas les épaules assez larges. De son côté, Simon Abkarian, déjà habitué à incarner les ordures internationales depuis son passage dans la saga James Bond, parvient à sauver sa prestation.
Philippe Haïm essaie de rouler des mécaniques pour se mettre au niveau de ses modèles hollywoodiens, via une succession de plans courts, caméra à l’épaule. Bien tenté. Sauf que ça tombe à plat. Finalement, on doit faire le constat –douloureux- que le cinéma français vire au ridicule dès qu’il commence à montrer les muscles. Après les deux volets de la saga Mesrine, on en est au troisième ratage grandiose. En réalité, Secret défense tombe plutôt mal, quelques semaines après la sortie de Mensonges d’Etat. Le film français, quasi franchouille, supporte difficilement la comparaison avec son équivalent américain signé Ridley Scott.
Dans ces conditions, on attend avec impatience un dénouement qui ne vient pas. La chute, interminable, fait office de morale, déclamée sur un ton pesamment didactique. Résumé du propos : les islamistes sont méchants, il y a des musulmans gentils, il faut défendre la France. Merci pour le renseignement.
Finalement, on ressort du film avec l’impression d’avoir vu une campagne de recrutement pour l’armée de terre : même éloge à la testostérone du patriotisme et même discours univoque. La scène finale se clôt d’ailleurs sur un hommage rendu aux services secrets français qui auraient déjoué une quinzaine d’attentats depuis le 11 septembre 2001.





Nessbeal, Rois sans couronne

6 12 2008

Rois sans couronne

Après avoir promené sa silhouette fantomatique sur des apparitions plus ou moins convaincantes, l’inattendu Nessbeal avait imposé avec La mélodie des briques, album saisissant par sa sincérité et son atmosphère lugubre, incontestable surprise de l’année 2006, un personnage sinistre et désespéré. Si Rois sans couronne ne bénéficie pas de l’effet de surprise du premier album, il conserve une puissance égale, une fois la déception de la première écoute surmontée.

En effet, l’oreille est d’abord perturbée par des tonalités incongrues dans l’univers sombre de Nessbeal. Première surprise et première déception, On aime ça, énième variation sur un thème éculé, constitue à la fois la caution radiophonique de l’album et sa principale faiblesse. De là à dire qu’il s’agit d’un lien de cause à effet, il n’y a qu’un pas que nous franchissons allègrement. De fait, après le relatif échec commercial de la Mélodie des briques, Rois sans couronne traduit l’hésitation de Nessbeal, partagé entre la volonté de courtiser un public plus large au risque de trahir sa personnalité originale, et son charisme funèbre qui faisait toute la qualité du premier opus. L’enthousiasme dissonant de Nessbeal, traître à lui-même, lui fait perdre en charme ce qu’il gagne en accessibilité. D’ailleurs, le roi,  privé de couronnement avec La mélodie des briques, assume partiellement  ce parti pris en avouant l’amertume qui a suivi l’échec commercial. Les morceaux racoleurs sont certes très minoritaires (On aime ça, Tu vois c’ que j’ veux dire, La vie des pauvres dans une certaine mesure), mais ils suffisent à rompre l’envoutement opéré sur le reste de l’album par le supplicié du Val-de-Marne. Le désir d’attirer à lui un public moins confidentiel se lit également dans les productions, habiles et percutantes, mais qui, à force de plastronner, ont tendance à s’user après plusieurs écoutes.

Rois sans couronne est donc un album indécis et hésitant, quasi schizophrène, où voisinent une allégresse factice et le spleen caractéristique de Nessbeal. Cependant, à condition d’expurger l’album des quelques intrus pour n’en retenir que l’essence, on obtient un disque d’une qualité égale, voire supérieure à La Mélodie des Briques. En effet, à y regarder de plus près, Nessbeal cultive avec ce nouvel aérolithe bombardé d’un autre monde les qualités qui avaient fait la puissance du précédent effort. Le chantre illettré désarme une nouvelle fois l’auditeur par sa sincérité pour mieux lui asséner une fois sa vigilance endormie des punchlines sinistres et discrètes. L’écriture spontanée mais soignée permet une nouvelle fois au MC de combiner les petits mots pour dire de grandes choses. Un certain nombre de titres, à l’instar de « Réalité française », accumulent cependant les raccourcis regrettables  mais dont le manichéisme a au moins le mérite de faire ressortir les antagonismes d’une société morcelée en identités repliées sur elles-mêmes.

On retrouve donc le même Nessbeal, aussi attachant qu’inquiétant, qui, par sa voix sépulcrale, semblable au murmure d’un trépassé échappé de son tombeau, par son allure de zombie au corps quasi décharné, et surtout par ses thématiques lugubres, aux confins du morbide, évoque l’imagerie des danses macabres du XVIème siècle, obsédé par la perspective de la mort : « Je danse un twist sur la tombe du hip hop ». De Rimes instinctives jusqu’au paradoxal Ca ira mieux demain, message d’espoir déclamé sur un ton incrédule et désabusé,  Rois sans couronne réserve de beaux moments de bravoure.

Membre du gotha du ghetto, Nessbeal porte une telle douleur qu’il donne l’impression de gravir à chaque rime son petit Golgotha : « chacun son chemin de croix ». Dans l’ensemble, sauf peut-être sur le morceau avec Dicidens, les featurings ne prennent pas, comme si Nessbeal ne pouvait libérer toute son énergie noire qu’en solitaire. Sans évoquer l’inaudible prestation de Wallen, l’association  improbable des deux plus grands écorchés du rap français, le Rat Luciano et Nessbeal, qui aurait pu déboucher sur un classique éternel, tombe à plat.

Loin des hits tire-larmes du moment, qui dosent le pathos à la louche (Lettre du front de Sefyu et Kenza Farah ou Dernière chance de Soprano et Léa Castel), ce petit classique en puissance se signale par son authenticité en dépit de quelques parasites et s’affirme comme l’un des candidats les plus sérieux  au titre de meilleur album de rap français de l’année 2008.





Go Down Moses

30 11 2008

Isaac Hayes

Isaac Hayes, figure de la soul américaine qu’il a contribué à renouveler, s’est éteint en août. L’icône black des seventies laisse un héritage colossal notamment au rap chargé de la succession.

Isaac Hayes s’était lui-même attribué involontairement le sobriquet grandiloquent de Moïse noir en baptisant son sixième album. S’il faisait mine d’accepter ce surnom avec réticence, il n’en restait pas moins un prophète – en matière de musique tout au moins: « J’étais très en avance sur mon temps. La preuve, c’est que ma musique est toujours actuelle aujourd’hui – vous savez, les rappeurs la samplent en permanence ». Préfiguration à la fois de la vague disco des seventies et du rap une dizaine d’années plus tard, l’icône soul a anticipé les évolutions de la musique en se plaçant au carrefour d’influences multiples.

Aujourd’hui, Isaac Hayes est mort. Ike Turner, Barry White, James Brown: l’hécatombe se poursuit sur le front de la musique noire américaine. Cette génération, qui a enfanté le rap sans le savoir, fini de disparaître. La voix chaude et ouatée  du baryton de la soul, reconnaissable entre mille autres, capable de déclencher à elle seule l’hystérie libidinale des jeunes filles en fleurs, s’est évanouie ad patres cet été. Comme toute légende de la soul américaine qui se respecte, Isaac Hayes est né dans le sud des Etats-Unis à une époque où la ségrégation raciale faisait loi, et comme toute légende de la soul qui se respecte, l’orphelin de Memphis, autodidacte et prototype du self made man, a quitté le ruisseau à la faveur d’un itinéraire épique  pour rejoindre les sommets des charts américains au tournant des sixties et des seventies. Après avoir fait office d’homme à tout faire pour Stax et subi un revers commercial avec son premier album, Presenting Isaac Hayes en 1967, il s’impose progressivement comme l’un des piliers du jeune label, jusqu’à ce que le public opère une identification entre « l’Empereur » et la maison Stax. Le succès de l’étourdissant et grandiose  Hot Buttered Soul en 1969 parachève la popularité du fantasque chauve. En pleine hégémonie de Motown, le label concurrent du nord des Etats-Unis, les orchestrations exubérantes d’Isaac Hayes, flirtant souvent avec l’emphase, saupoudré de Gospel et de country, contribuent à renouveler la musique noire américaine en introduisant notamment des emprunts à la musique blanche –une révolution ! L’éclectisme d’Isaac Hayes lui vient de sa formation pluridisciplinaire : à ses débuts dans le Tennessee le jeune homme joue à la fois dans un groupe de blues, un autre de jazz, encore un de rock et encore un autre de gospel. Ce syncrétisme se retrouve dans les symphonies soul, entrelacs de violons, de guitares wah-wah, de cuivres, de chœurs et de flutes composées à la fin des années 1960 et au début des années 1970 qui restent des objets uniques dans l’histoire de la musique. Comment lui venait cette inspiration ? « Tout naturellement. Quand j’étais gosse, j’écoutais toutes sortes de musique, j’étais comme une éponge: j’absorbais tout. Plus tard, quand j’écrivais pour Sam & Dave, ce n’était pas ma propre personnalité que je mettais en avant. Quand le moment fut venu pour moi d’enregistrer mon propre disque, je voulais absolument y inclure des cordes, car j’écoutais alors beaucoup de musique classique. Je n’avais aucune expérience en la matière, mais mon interprétation et mes influences m’ont permis de glisser sous le funk ces arrangements de violons, particulièrement sur «Walk On By». C’est venu comme ça et cet élément est toujours resté dans ma musique». La gloire mondiale vient en 1971 avec la bande originale de Shaft de Gordon Parks, film iconique de la blaxpoitation, le cinéma joué par des noirs à destination des noirs. S’il ne décroche pas le rôle titre qu’il convoitait, le film lui permet tout de même de récolter un Oscar, un Golden Globe et trois Grammy awards. A son zénith, la carrière fulgurante d’Isaac Hayes coïncide avec l’émergence culturelle des noirs américains. Il participe en 1972 au « black Woodstock » organisé par Stax à Los Angeles devant 100.000 noirs américains enfiévrés. A la même époque, il s’affuble sur scène d’une panoplie de chaînes en or, curieux renversement des codes de l’esclavage et prélude au bling-bling en vogue aujourd’hui. A partir de la fin des années 1970, la carrière d’Isaac Hayes -par ailleurs grand ami de Lino Ventura – qui s’éparpille entre le cinéma, le disco, la gestion de son propre label et celle d’un club de basket puis le doublage de la série South Park et une fondation humanitaire, s’étiole progressivement. La fermeture de Stax en 1975 symbolise le long crépuscule de l’idole noire : la flamboyance du tournant des seventies est passée.

Cependant, la notoriété du Black Moses a été entretenue par ses descendants en ligne directe, les rappeurs. Isaac Hayes sur le déclin s’amusait plus qu’il ne s’agaçait que sa discographie ait été abondamment samplée : « ça ne me dérange pas, ça me donne une forme de longévité ». Celui qui avait daigné apparaître sur la bande originale de Comme un aimant, entretenait comme beaucoup de ses coreligionnaires une relation ambiguë mais dépourvue de condescendance avec de ses héritiers involontaires. En adoubant la première génération de rappeurs, il a contribué à conférer à cette musique la respectabilité qui lui faisait défaut dans les années 1980. Il invite même Chuck D de Public Enemy sur son dernier véritable album, Branded, en 1995.  Dès le début de sa carrière sur la scène des clubs de Memphis qu’il écumait pour bâtir sa notoriété, Isaac Hayes avait pris l’habitude de parler au micro plutôt que de chanter afin d’attirer l’attention sur ses performances. En 1986, en pleine effervescence rap, il reprend à son compte la popularité naissante du phénomène en réactualisant son Ike’s Mood, rebaptisé pour l’occasion Ike’s rap, comme pour s’en attribuer la paternité. Cependant, sans doute en raison de l’écart de générations, un malentendu brouillait la relation, comme un grand-père avec ses petits-enfants : « j’aime des groupes comme Public Enemy – qui font des choses pour réveiller la jeunesse et les rendent plus cosncients et plus responsables – mais  je ne suis pas du tout d’accord avec certains rappeurs d’aujourd’hui! Particulièrement les chansons qui rabaissent les femmes et font l’apologie de la violence et des gang-bangs.  Si vous voulez, quand certains des premiers soi-disant “gangsta” rappeurs sont apparus, cétait compréhensible, dans le sens où ils protestaient contre leurs conditions de vie et ils permettaient d’attirer l’attention sur celles-ci. Mais aujourd’hui, ça a pris une autre tournure. Les gens ont commencé à les imiter, plutôt que d’en prendre note et de dire ‘On a besoin de changer cette situation’ ». Un jour à LL Cool J : « je portais des chaînes quand tu jouais encore aux osselets à la récré ».

L’immense colosse au corps fragile, à cours d’inspiration et pas considéré à sa juste valeur, a sans doute bien fait de mourir pour renaître à la musique.





Tirs au but

30 11 2008

Sisi la famille

Le titre de cet objet musical non identifié (album ? street-album ?), Sisi la famille, prouve que Salif n’a pas perdu son sens de l’autodérision en dépit des apparences. Si le MC caméléon, capable d’adapter son personnage à l’ère du temps, confirme la mue post-Chacun pour soit opérée depuis quelques années, il montre aussi qu’il parvient à conserver une identité originale. L’extrême détachement de Salif, comme s’il ne se sentait que lointainement concerné par son propos, atteste que le MC conserve la distance nécessaire pour ne pas sombrer dans la pantalonnade.

Alors certes, Salif n’est pas tout seul au sein de Nysay. Mais si Exs souffre toujours de la comparaison avec son compère, l’alternance des deux MCs permet de varier le rythme et la sensibilité. Au pire, Exs permet de ménager des pauses entre les couplets de son collègue foutraque, au mieux il se met au niveau de son partenaire. Par ailleurs, le dialogue des deux associés fait entendre une pluralité de tons et d’écritures qui permet d’éviter la lassitude de l’oreille. Au total, le tandem fonctionne toujours aussi bien et la performance est d’autant plus honorable que Salif et Exs parviennent à donner du relief à des productions parfois un peu insipides. Mais l’instru de Tous de passage, dont les voix pitchées suggèrent une plainte étouffée, rappelle que le duo pourrait libérer davantage de puissance à condition d’être mieux servi par la production. On apprécie également le double hommage rendu à Lino : «qu’est-ce que je pourrais te dire qu’a pas été dit par Lino ? », renvoyant directement au « qu’est-ce que je pourrais te dire qu’a pas encore été dit ? Rien d’inédit à part que j’ai une lame sous mon teddy » de Lino. Attaché à l’héritage des illustres aînés, le groupe se montre aussi visionnaire, le titre 0gramme9 sonnant comme un écho anticipé au prochain album de Booba.

Cependant, malgré toutes ses qualités, ce street-album, énième hors-d’œuvre avant l’album, n’élude pas la question d’un projet plus abouti. Salif, dont on a tendance à oublier un peu vite qu’il est l’un des meilleurs MCs en activité pourrait davantage affirmer ses qualités sur un solo plus ambitieux. Rendez-vous début 2009.





Brut de décoffrage

30 11 2008

Seul avec tous

Qu’on ne s’y trompe pas : Seven ne révolutionnera pas le rap. D’abord parce que le parisien, qui n’est sans doute pas le meilleur MC de la création, ne parvient pas à se démarquer nettement des MC de sa génération. Ensuite parce qu’il explore des thématiques réchauffées (qu’on songe seulement à Petits frères, petites sœurs ou à Putain d’époque déjà entendus mille fois ailleurs). Et en s’emparant de ces topoï du rap français, le MC ne parvient pas véritablement à renouveler leur approche. Pour le dire autrement, Seven n’a pas l’inspiration géniale capable de bousculer les codes, ni la maestria qui distingue le virtuose du MC lambda.

Et pourtant, patronné par DJ Cream qui a récemment orchestré le retour d’Oxmo Puccino au rap, Seven parvient à surmonter tous ces handicaps pour livrer un nouvel album de bonne facture. Après la bonne surprise de Mode de vie étrange servi par un casting impeccable, Seven reproduit la même impression. En s’appuyant sur la voix rocailleuse du MC zinzin et en capitalisant sur un style explosif, DJ Cream et Seven réussissent à créer une atmosphère particulière, sombre mais dépourvue de mélancolie. Inutile de pratiquer l’exégèse des textes de Seven pour y déceler la punchline ultime au milieu des phrases nominales, mais le rythme heurté de sa scansion et de son écriture fait effet. On ne trouvera pas non plus Si le morceau titre semble rendre un hommage discret à Oxmo Puccino, Seven ne développe pas les mêmes qualités que son prédécesseur. Les quinze morceaux laissent rarement affleurer l’émotion et l’exaltation, mais le tout est toujours percutant et incisif.

Au total, Seven livre un disque honorable, même s’il apparaît à peu près certain que Seul avec tous ne traversera pas les décennies.





Blague belge

30 11 2008

Le Fils du commissaire

A voir James Deano débouler sur les ondes avec un titre pour le moins léger (Les blancs ne savent pas danser), on aurait pu croire à un nouvel avatar du rap-bouffon, en somme un suiveur de Kamini, ou de Fatal Bazooka. Une écoute plus attentive du Fils du commissaire permet de confirmer que la première impression est souvent la bonne.

Un premier constat force à conclure que cet escogriffe paré d’un survêtement au charme suranné sait rapper et qu’il serait en droit de donner des leçons de mcing à bon nombre de nos rappeurs nationaux. Pourtant, si son flow élastique pourrait lui autoriser toutes les audaces, le belge donne l’impression de ne pas bien savoir quoi faire de sa scansion dégingandée. Alors, comme un élève surdoué, il fait le pitre et travestit sans cesse sa voix jusqu’uà donner par moments la désagréable impression d’imiter Guy Bedos. Et encore, ce flow caoutchouc n’est même pas mis à profit pour porter des textes amusants : chacun des morceaux répète platement des thèmes dépourvus du moindre intérêt (le célibat, le terrorisme etc.). Le duo formé avec Diam’s, dont on serait bien en peine de dire de quoi il traite, atteint un sommet de vacuité : « entre le bien et le mal, on suit le destin ; entre le bien et le mal, on le prend comme il vient, sans exception ».

Au total, l’album ultra calibré pour le marché français donne l’impression de brider l’inventivité de James Deano qu’on parvient à deviner par moments derrière les clowneries. On n’échappe pas à l’inévitable refrain sirupeux, ni au décalque de Pas le temps, le chef d’œuvre éternel de Faf Larage. Pour ne pas trop dépayser le public français, James Deano prend même la peine de citer l’intégralité du programme télé hexagonal dans un morceau complètement balourd. Les références à la culture française -voire franchouillarde- se multiplient tout au long d’un album dont on aurait aimé qu’il découvre la vraie nature de James Deano. Le Fils du commissaire, fanfreluche markettée, est donc inintéressant et d’autant plus frustrant qu’il laisse percevoir derrière l’écran de frivolité les qualités de James Deano.





Noir c’est noir

30 11 2008

tragedie-dune-trajectoire

1939 a été pour le cinéma américain une « miracle year » en raison de la profusion de chef-d’œuvres sortis cette année-là. A bien des égards, on pourrait appliquer le même qualificatif à l’année 2006 pour le rap français qui a vécu comme une renaissance éphémère après le cru 2005 peu fécond et avant un millésime 2007 franchement terne. Et Casey aura largement contribué à ce rebond. Découverte notamment sur la compilation L432, elle exploite depuis une décennie la même veine, noire et acrimonieuse. En dépit d’une kyrielle d’apparitions sur compiles et de projets divers, celle qui a osé décliner une invitation de NTM qu’elle jugeait condescendante s’était jusqu’en 2006 abstenu de sortir un album. La MC (l’acronyme accepte-t-il le féminin ?) a donc comblé ce trou dans sa discographie avec un premier solo de la meilleur manière, en livrant un disque radicalement noir, modèle de cohérence et de pessimisme.

Tragédie d’une trajectoire est un album définitivement noir, d’un noir sans nuance. Aucune lueur ne perce l’obscurité. « Tout ce que j’énumère n’a aucun humour, est noir et amer, froid et sans amour, fade et sans saveur et a dans son sommaire un lexique et une grammaire pour cracher sur leur mère » prévient-elle en début d’album. Le disque est donc un déversement ininterrompu de haine et de colère accumulées tout au long d’une vie et condensées en douze morceaux de qualités égales. On peut se réjouir que l’extrême densité de l’album permette de compenser sa brièveté. La semonce adressée à la face du monde provoque chez l’auditeur une frayeur continue de la première à la dernière mesure de l’album. Et le tout dégage une inquiétante atmosphère de crépuscule sur un monde au bord du chaos.

Quand l’intro fleurie de Pas à vendre laisse imaginer un lever de soleil sur un paysage champêtre, la semonce brutale de Casey brise subitement l’harmonie et fait redescendre l’auditeur vers l’abîme ténébreux où la MC a élu domicile, un cloaque glauque sans issue. « Noire née en France « , Casey, qui conserve toujours par devers elle une lame dans sa veste au cas où, est soumise aux tourments et à la méfiance de la bête traquée. Le monde extérieur est présenté sans distinction comme un ennemi, seule la banlieue nord trouvant grâce à ses yeux. Les rues parisiennes sont ainsi peuplées d’une faune hostile pour laquelle elle n’a que mépris et méfiance, à telle enseigne que sa colère radicale confine au quasi-solipsisme. Militante de l’insoumission, Casey, la révolte solidement chevillée au corps en appelle en permanence à la mutinerie.

Bien que Casey cultive l’androgynie, Tragédie d’une trajectoire manifeste une certaine sensibilité féminine. Sans verser dans le psychologisme de comptoir, on pourra noter que Casey fait davantage part de ses états d’âmes que ses éternels complices de La Rumeur dont le cœur semble davantage fait de pierre. En témoigne la pochette sur laquelle elle exhibe sans pudeur les écorchures qui meurtrissent autant sa peau que ses entrailles. Celle qui revendique son appartenance à la race des punks se livre sans détours notamment dans sa présentation liminaire glaçante : « cette belle insouciance de l’enfance qui plus tard laisse place à la sagesse, je l’ai pas connue. Je suis noire, née en France et maintenue en position de faiblesse. Et aujourd’hui encore un rien me blesse ; et pourtant j’ai tout fait pour que passent mes traumatismes, mais c’est dur, il faut que je le reconnaisse. Et il y a peu de chances pour que ça se tasse avec la vieillesse ». En dépit d’un poncif tenace, il y a donc bien en France une place pour le rap féminin même si Princess Anies a voulu nous démontrer le contraire en début d’année avec le nunuche Au carrefour de ma douleur

Sa plume, trempée dans le vitriole, est aisément reconnaissable à l’abondance des assonances et des allitérations qui font figure pour la MC de marque de fabrique. Anti-Flaubert, le défunt écrivain s’étant fixé jadis pour mission de chasser de ses textes la moindre allitération, elle étale tout son savoir faire dans Suis ma plume, pur exercice de style destiné à faire la démonstration de sa maîtrise lexicale : « Ma plume, mon diplôme, un blâme, un problème, un suprême programme haut de gamme qui engraine, qui entraîne débris de crânes, de vitrines, crimes qui se trament, nitroglycérine. Premier album, je dégomme, sors des Abymes, j’amène oedèmes et rétame des ridims, j’étonne, on m’acclame, je donne mon mot d’ordre et mon modèle, quidam dégomme sur le macadam. Des tonnes d’ultimatums dans mes thèmes, hématomes dans mes tomes à l’antenne et cartonne e système. » « Alors, t’as suivi ? Ca t’a plu ? T’as vu ce style ? T’as vu cette dextérité ? T’as vu cette compétence ? » demande-t-elle en conclusion. Difficile de répondre autrement que par l’affirmative. La répétition des mêmes sonorités lui permet d’insister sur chacune des syllabes, leur donnant à chaque fois une charge explosive, le flow au cordeau tenant lieu de détonateur. Par ailleurs, le parti pris stylistique permet de tenir les sens de l’auditeur en alerte et donne encore davantage de relief au texte. Le flow tout en retenue et pourtant percutant de Casey tient du paradoxe.

Les participations dispensables d’Anfalsh ou de Ekoue s’intègrent plutôt bien à l’ensemble mais rompent l’envoûtement opéré par la voix enveloppante de Casey. On surprend même la MC, un instant traîtresse à son personnage mais fidèle à sa personne, à rire en introduction de On ne présente plus la famille. Par ailleurs, son excellent couplet sur Ma Haine éclipse complètement les apparitions de ses collègues de crew.

Avec un album très No future, Casey part en guerre contre le monde entier. Et pourtant, si chaque rime glace le sang par sa noirceur catégorique, le talent de Casey tient dans sa capacité à éviter la simulation ou la caricature. Bien que Casey soit à la ville plus guillerette que ses textes ne le laissent imaginer, on sent la sincérité dans sa démarche. Elle ne nous montre pas son cœur ; elle dissèque en public ses viscères.





Le MC nitzschéen

30 11 2008

Ouest Side

Booba, ses outrances bouffonnes et son cabotinage fanfaron suscitent les passions et les jalousies. Porte-étendard impudique et caricatural de tous les interdits informulés de la société –individualisme, repli communautaire, américanisation, apologie de l’argent-, avatar postmoderne d’Arlequin, ridicule et multiforme, Booba a en effet de quoi agacer. Et pourtant, cet homme-là a lâché avec Ouest Side l’un des meilleurs albums de rap français (en réalité l’épithète est superflue). Le millésime 2006 de Booba, survol halluciné d’un monde lunaire, est équivoque et insaisissable, incroyablement novateur et téméraire, baroque et finalement inouï.

Défricheur du rap français, l’autoproclamé « duc de Boulogne » trace à la hache un sentier dans lequel s’engouffrent à sa suite d’innombrables épigones qui transforment le sillon en autoroute. Une fois le terrain déblayé et investi par les imitateurs, Booba part explorer de nouveaux horizons. Après la période Lunatic 1, l’époque Lunatic 2/Temps mort, Booba inaugure avec Ouest Side une nouvelle ère. En somme, sa musique pionnière, en chantier permanent, éclate le carcan où le rap a tendance à s’enfermer de lui-même. Et paradoxalement, ce n’est pas par la convocation d’influences extérieures qu’il parvient à rénover un rap suffoquant : il opère sa mue de l’intérieur. Le R&B inconsistant de l’inévitable Akon sur Gun in Hand ou le reggae de Trade Union n’apportent pas grand-chose à l’ensemble –à vrai dire, les apparitions de Kennedy ou de Intouchable étaient aussi dispensables tandis que Mc Tyer sauve son couplet sur une jolie phrase (« mes cicatrices me rappellent que mon passé n’est pas un rêve »). Les morceaux les plus audacieux sont en fait les solos sur lesquels Booba peut faire valoir l’étendue de sa technique grâce à laquelle il déconstruit méticuleusement son flow et son écriture pour accoucher d’un phrasé métamorphosé. Un peu à l’image de Shurik’n sur Demain c’est loin, le météore liquide la syntaxe traditionnelle et répète des syllabes ou des mots entiers pour imprimer au son un rythme heurté. Exemple d’actualité : « Nicolas, on te baise / baise toi et ta pute ». Le mouvement saccadé se retrouve par ailleurs dans le flow déstructuré. Le premier single de l’album, Garde la pêche, est à cet égard un bel exercice de maîtrise flowistique.

Le meilleur titre de l’album, Couleur Ebène (clin d’œil à Ali ?), construit sur un rythme binaire, révèle en même temps les deux faces d’un Booba bifrons, farceur et inquiétant, matamore tourmenté. Le morceau qui permet au MC d’étaler une nouvelle fois l’étendue de sa technique fait mentir ceux qui, contre l’évidence, se lamentaient sur la pauvreté technique de Booba. Il faut dire que le MC est bien aidé par la très belle production de Medhi. Globalement, les instrus de l’album sont de haute tenue, à l’exception de quelques sons un peu plats (Gun in hand) ou éculés (Le Duc de Boulogne).
La thématique, nihiliste et désabusée, identique depuis l’époque du Beat de Boul et de Lunatic n’est pas fondamentalement renouvelée, mais il faut lire la redondance du propos comme un « puzzle de mauvaises pensées ». Même les phases les plus rustres prennent un tour génial grâce au sens de la punchline de Booba :

« Si je traîne en bas de chez toi, je fais chuter le prix de l’immobilier »
« S’il y avait des bites par terre, il y en a qui marcheraient sur le cul »

Au total, on pourra se scandaliser aussi longtemps qu’on voudra de l’emphase du personnage, homophobe, misogyne, concupiscent, qui concentre les tabous contemporains, mais il faut reconnaître que son discours s’inscrit bien dans une époque privée de transcendance. « Chasseur de mythes » comme aurait dit Norbert Elias, Elie Yaffa avoue lui-même ne « plus croi[re] en grand-chose », confession étonnante au moment où la foi racoleuse est proclamée à l’envie dans le rap français. Par ailleurs, il faut se garder de mener une exégèse trop littérale des textes du MC qui pratique en dépit des apparences l’autodérision. Le récit des fantasmes urbains trouve un paroxysme avec le très convaincant Ouais Ouais. Cependant, si les exubérances arrachent un sourire complice à l’auditeur, c’est bien sur les morceaux sombres que l’écriture de Booba s’exprime avec les plus d’efficacité :

« Si t’as pas de raison de vivre, trouve une raison de crever »
« J’ai demandé ma route au mur, il m’a dit d’aller tout droit »

Il y a bien une noirceur désenchantée chez Booba qui rappelle non pas Céline comme l’ont dit les commentateurs pressés, mais plutôt Lorenzaccio ou Richard III. Booba n’est pas en effet un être réel, mais un personnage, une création façonnée par Elie Yaffa, comme Galatée née des mains de Pygmalion. De fait, les meilleurs morceaux sont aussi les plus sombres et même l’intro et l’outro, d’ordinaire négligées constituent ici des morceaux à eux seuls et comptent parmi les meilleurs de l’album. En somme, si Ouest Side est incontestablement un excellent album Mais il faut toujours l’écouter avec le recul nécessaire pour en saisir la subtilité masquée par les roulements de mécanique.