Sombre sur la mesure

30 11 2008

Du Coeur à l'outrage

Révélés à la fin des années 1990 par une trilogie de maxis devenus incontournables, les membres de La Rumeur ont poursuivi leur carrière avec le désormais classique L’Ombre sur la mesure. Un parcours impeccable qui a fait du groupe les maîtres d’un style qui leur est propre, une sorte d’hybride entre la véhémence d’un certain rap hardcore, un discours politique contestataire et une ambiance glauque de polar. Cependant, empêtrés dans des désagréments judiciaires, les quatre MCs et leur deux DJs ont composé un deuxième album, Regain de tension, qui a sonné comme une relative déception. Trois ans après, La Rumeur revient avec Du cœur à l’outrage.

La pochette, référence à Yo! Bum Rush the show désigne d’entrée les membres du groupe, aux faciès graves et menaçants, comme des ennemis publics. Pourtant, Du cœur à l’outrage n’est pas un album politique. Les quatre MCs se sont un peu détournés de la dénonciation sociale et politique, qui encombre par moments un peu trop le discours du groupe, pour se diriger vers une écriture plus introspective. L’album n’est pas, comme pourrait le suggérer le titre, une invitation à l’insurrection, mais plutôt un soliloque à quatre voix ; une violente invective contre le monde, mais adressée à soi-même. Aucune revendication particulière n’est formulée. D’ailleurs, la discrétion des références à leur actualité judiciaire a de quoi surprendre.
En fait, il s’agit d’un disque désabusé, sans engagement politique précis, en dépit de quelques titres porteurs d’une contestation politique évidente (La Meilleure des polices, Que dit l’autopsie ?, Comme de l’uranium), Du cœur à l’outrage est l’expression d’une colère ontologique qui n’est dirigée contre personne en particulier. La direction prise, qui consiste à relier l’agitation politique et sociale à leurs troubles intérieurs, donne ici une portée plus universelle à leur propos.
D’ailleurs, La musique qui porte parfaitement les textes rendra peut-être plus accessible leur travail. Les instrus, dans la lignée de Regain de tension, sont mieux maîtrisées que sur le précédent volet notamment grâce aux contributions de producteurs invités venus d’horizons différents (Demon, Laloo, P.A.T.).

Mais, qu’on ne s’y trompe pas : Du cœur à l’outrage reste un album extrêmement sombre. La colère froide qui fait l’identité du groupe depuis ses débuts est demeurée intacte. Quand, parmi des textes noirs, La Rumeur se permet un soupçon d’humour avec Une bande ethnique à moi tout seul, dans un clin d’œil à Renaud, c’est pour dire un texte grave.
Quand la lune tombe et Un chien dans la tête, qui comptent parmi les plus grandes réussites du disque, sont deux variations sur le même thème : une déambulation nocturne dans les rues lugubres d’un Paris dantesque. Ces deux apologies paradoxales d’un monde hostile et inquiétant rendu fidèlement par deux plumes tranchantes ne sont pas très loin du chef-d’œuvre.
On oublierait presque que Ekoué donne par moments l’impression désagréable de forcer son phrasé pour lui donner des accents ro(a)cailleux. A l’inverse, Hamé, qui a perfectionné son écriture en la densifiant, fait la démonstration de sa forme sur deux solos (La meilleure des polices et Quand la lune tombe) qui sont peut-être les deux meilleurs morceaux de l’album.

Finalement, par la similitude des thèmes et de l’ambiance musicale, on peut considérer Du cœur à l’outrage comme un remaniement (réussi) de Regain de tension. Fidèles à son identité, La Rumeur a produit avec Du Cœur à l’outrage un album d’une virtuosité sinistre. On regrettera seulement que, à force de noircir les traits, l’album devienne par moments trop oppressant et par conséquent peu digeste. Quoiqu’il en soit, ce dernier effort ramène le groupe quasiment au niveau de L’Ombre sur la mesure.